Décharnement, acharnement… Relations ambigües entre religion et chiens persans
Dans un article publié le 17 juillet dernier, l’édition en ligne du Wall Street Journal évoque l’aversion du régime des mollah pour les canidés et met en lumière les stratagèmes employés par la population pour s’en procurer.
Le reportage du WST ayant déjà été repris par de nombreux médias, nous nous pencherons ici sur un aspect plus historique que "news" du sujet. Car avant d’être considéré comme "impur" par les ayatollah et de faire l’objet de fatwas enflammées, le chien a longtemps occupé une place de choix dans le mysticisme iranien.
Avant la conquête de l’Islam (VIIe – VIIIe s.), le monde iranien est un espace où cohabitent les croyances. Mais dès l’époque achéménide (Ve – IIIe s. B.C.), les populations du Fars, berceau de l’empire, et des régions avoisinantes vouent un culte à tout un panthéon de divinités au centre duquel trône l'entité suprême, Ahura Mazda.
Passons ici les détails du culte mazdéen (ou zoroastrien, une dénomination qui découle de la réforme du culte attribuée selon la tradition au prophète Zoroastre – ou Zarathoustra). Pour les anglophones qui souhaitent se pencher plus en détails sur le sujet, je vous recommande un excellent ouvrage : Zarathustra and Zoroastrianism, de Michael Stausberg et Margaret Preisler-Weller.
Dans le cadre plus restreint de ce billet, nous nous contenterons d’évoquer la place du chien dans la symbolique mazdéenne. Et plus précisément la position centrale qu’il occupe dans l’un des aspects fondamentaux de la religion : les rites funéraires.
Le messager de l’âme
Jusqu’à l’époque sassanide (VIIe s.), les morts quittent le monde profane par le procédé du décharnement. Ce rite était d’ailleurs toujours employé jusque à la moitié du XIXe siècle par les dernières communautés descendant des mazdéens, les Parsis, que l’on retrouve pour la plupart dans la région de Mumbai, en Inde.
Les corps des défunts sont emmenés dans les hauteurs des montagnes, où ont été érigés des édifices consacrés à la cérémonie : les Dakhma (tours du silence, photo).
Le corps y est déposé afin que les vautours procèdent à son décharnement. Les humains n’ont pas le droit d’assister au rite.
Dans la tradition mazdéenne, c’est au chien qu’il advient d’occuper cette place d’ultime protecteur du corps humain. Ce cérémonial s’appelle le Sag-did (en Persan,
sag signifie chien).
Chez les Mazdéens, le chien est un animal psychopompe. C’est lui qui est chargé de guider l’âme du défunt à travers le pont de Cinvat, passage symbolique vers l’au-delà.
L’égal de l’homme
Dans le Vendidâd, l’un des textes fondamentaux du corpus mazdéen, le chien tient également une place essentielle. Dans les Fargard (paragraphes) 13, 14 et 15, plusieurs écritures font mention du chien comme étant l’égal de l’homme et promettent à ceux qui s’y attaquent les pires châtiments.
Le meurtre d’un canidé est notamment décrit comme étant l’un des pires crimes qui puisse être commis par un croyant. À l’inverse, celui qui s’en occupe, le soigne et l’entretient s’offre la reconnaissance des divinités qu’il adore.
Quelques siècles et une révolution plus tard, le rapport de force a évolué. Aujourd’hui, les Téhéranais cachent leurs compagnons dans leurs appartements et les plus téméraires les laissent se balader dans leurs cours intérieures. Seules les forces de sécurité (photo) ont encore la possibilité de promener leurs collègues quadrupèdes dans l’espace public.
Le pouvoir théocratique, lui, a rayé des siècles de tradition. Dans une fatwa prononcée en 2010, l'Ayatollah Nasser Makarem Shirazi a vertement condamné la possession de chiens, estimant qu’elle relevait de "valeurs occidentales vulgaires".
Et, tandis que certains députés tentent de mettre sur pied un texte criminalisant les possesseurs de canidés, les autorités se livrent à des battues dans les grandes villes du pays. Autrefois ambassadeurs d’un rite funèbre ancestral, le décharnement, les chiens d’Iran sont aujourd’hui la cible d’un funeste acharnement.
Y. Buxeda
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