IRAN : À Téhéran, les effluves de Safrane ont recouvert celles du safran
La Paykan, fleuron de l'industrie automobile iranienne.
Ceux qui parmi vous ont un jour parcouru les récits de voyage de Jean Chardin dans la Perse du XVIe siècle n'ont vraisemblablement pas oublié les fragrances enchanteresses qui s'en dégagent. L'explorateur français, accueilli à la cour du Shah Abbas, à Ispahan, évoque les effluves safranées qui s'échappent des étals du marché de la cité phare de cet empire oriental qui s'ouvre enfin au monde extérieur.
Quelques siècles plus tard, l'Iran s'est refermé... et Téhéran sent le renfermé. Située à flanc de montagne au Nord et en bordure du désert au Sud, la capitale iranienne est une étuve où les gaz d'échappements stationnent et fermentent à hauteur de poumons.
La principale responsable de cette atmosphère irrespirable est un symbole, un fleuron de l'industrie automobile iranienne : la Paykan. Créée sur les bases de la Hillman Hunter britannique de 1967, la Paykan pourrait presque revendiquer une mention dans la Constitution.
Pendant près de 40 ans, elle a été le principal produit industriel assemblé en Iran, sur les chaînes de production d'Iran Khodro. Le constructeur numéro un en Iran, qui s'occupe aujourd'hui, en partenariat avec le Français Peugeot, de l'assemblage des 206 et 405 et d'autres modèles destinés au marché iranien, a dû patienter jusqu'en 2005 pour délocaliser au Soudan la production de son tacot emblématique. Une question d'opinion publique.
Depuis les années 1990, les constructeurs européens sont parvenus à intégrer substantiellement le marché iranien via ce système d'assemblage sous licence. Ainsi, à la même période, Saïpa, un autre constructeur iranien, a été chargé de la construction de plusieurs modèles Renault et Kia qui ont connu de retentissants succès.
Paykan à la noix ?
Mais si le paysage change progressivement, la révolution est lente... très lente. En Iran, le parc automobile est toujours massivement composé de ces cercueils motorisés. La flotte de taxis en est la toute première ambassadrice. Et dans un pays où l’État subventionne encore très largement le carburant – et où le litre d'essence coûte à peine plus cher que celui d'eau – l'argument de la consommation n'en est pas un. Certaines Paykan historiques peuvent consommer jusqu'à 30 litres aux 100 km.
Aux abords des grands pôles, l'air est devenu irrespirable. Sur l'avenue Vali Asr, les échoppes d'épices et de pistaches fleurent bon le mazout. Dans un article publié en 2000 pour IranReporter, le journaliste Serge Michel rapporte les propos d'un haut responsable du ministère de l'Industrie : "La Paykan, c’est plus qu’une voiture. C’est une banque, c’est un indicateur économique comme le prix de l’or et c’est un désastre. Une malédiction. Nous avons calculé que si le gouvernement offrait une voiture neuve à tous les propriétaires de vieilles Paykan, il retrouverait son argent en trois ans, grâce aux économies sur la consommation de pétrole."
Avec les fluctuations du prix du baril, le calcul n'est vraisemblablement plus viable aujourd'hui. Mais une chose est toujours incontestable : la Paykan est autant un gouffre financier qu'un enjeu de santé publique pour les autorités iraniennes. Et dans un pays où l'attachement à l'identité nationale est particulièrement ancré, le poids de l'histoire se compte en milligrammes... des milligrammes de plomb qu'ingurgitent chaque jour les 12 millions de citoyens de la capitale iranienne.
Y. Buxeda
N.B. : Rétablissons la vérité. La pirouette du titre de ce billet était facile, mais il convient tout de même de préciser que jamais Renault n'a exporté la Safrane, modèle phare des années 1990, en Iran.
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